suggestion par Barry Sy-Valade pour la revue Moules-Frites
« Casey est l’archétype du couteau suisse. De la production à l’édition en passant par l’écriture de morceaux pour d’autres rappeurs (ghostwriting) et la composition de mélodie (toplining), peu d’artistes francophones peuvent se vanter de couvrir une si vaste portion du spectre des métiers de l’industrie de la musique. Cela dit, même si elle s’est fait un nom dans l’underground à partir de 1997 en collaborant avec de nombreux artistes et en travaillant dans les coulisses du rap français, il faut attendre 2006 et la sortie de Tragédie d’une trajectoire pour entendre Casey en solo sur un long format. Tout au long du disque plane une ambiance grave, électrique au sein de laquelle le ton menaçant de Casey amène une proposition assez différente de rap engagé qui frôle le rap hardcore. C’est un album revanchard qui s’en prend aux personnes et aux évènements qui l’ont blessée, raconte la banalisation des tragédies dans les banlieues, dénonce la surpuissance des politiques et des financiers… »
Aux côtés d’autres exemples que je vous invite à découvrir dans le merveilleux volume 2 de la revue Moules-Frites Barry Sy-Valade conclut à juste titre :
« Ces six exemples nous permettent d’affirmer plusieurs points. Tout d’abord, les femmes n’ont attendu ni Diam’s ni Shay pour faire du rap, bien au contraire. Cela dit il est vraisemblable que les majors aient attendu le succès des femmes de 2015-2016 pour accepter de produire des rappeuses. Ensuite, il n’y a aucune différence entre le « rap féminin » et le « rap masculin ». En réalité, le rap est basé sur la réinterprétation des codes esthétiques et artistiques d’une culture commune mise au prisme de leurs sensibilités respectives majoritairement influencées par leurs réalités socio-économiques. Ainsi, chaque artiste propose un rap différent même si certains se regroupent autour de sensibilités communes, créant de nouvelles scènes au sein du rap (trap, drill…) Alors s’il n’y a pas de différences concrètes, pourquoi parle-t-on de « rap féminin » ? De par son association au sous genre du Gangsta-rap, reposant en partie sur l’exultation d’une virilité propre à des artistes masculins, le rap a été genré, forçant indéniablement des rappeuses à se placer comme des femmes dans un monde d’hommes. Ainsi la communautarisation des rappeuses autour de leur genre n’a rien de naturel. Elle est soit un choix des maisons de disques qui signent leurs rappeuses, cochant toutes les cases de la féminisation d’un rap masculin dont ils ne comprennent rien ; soit, comme c’est le cas plus récemment ; le rassemblement d’artistes conscientes que leur seule similarité (le genre) cause leur invisibilisation. Autrement dit, le rap féminin est une scène artificielle témoignant de la marginalisation des femmes dans le milieu du rap, mais qui leur permet finalement d’exister dans le monde fermé du rap français. Arrêtons de parler de rap féminin. Essayons simplement de mettre la lumière sur autant de rappeuses que de rappeurs. »
Je vous invite vivement à acheter ou commander Moules-Frites la revue pour tout ce qu’elle véhicule, pour ces fortes valeurs, mais aussi et surtout parce que c’est beau autant sur la forme, que sur le fond. Je profite aussi de votre écoute pour appuyer cette suggestion musicale, pour vous dire que Casey est une bête d’artiste. Je vous conseille de la découvrir en concert ou de vous plonger dans tout son univers. Même si le choix est difficile sur toute son œuvre la chanson « Rêves illimités » est un titre qui m’a mis une grosse claque et encore aujourd’hui quand je l’écoute.
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